25.6.08


Pratiquée dans l’une des cloisons, une armoire contenait une série de petites tonnes, rangées côte à côte, sur de minuscules chantiers de bois de santal, percées de robinets d’argent au bas du ventre. Il appelait cette réunion de barils à liqueurs, son orgue à bouche. Une tige pouvait rejoindre tous les robinets, les asservir à un mouvement unique, de sorte qu’une fois l’appareil en place, il suffisait de toucher un bouton dissimulé dans la boiserie, pour que toutes les cannelles, tournées en même temps, remplissent de liqueur les imperceptibles gobelets placés au-dessous d’elles. L’orgue se trouvait alors ouvert. Les tiroirs étiquetés « flûte, cor, voix céleste » étaient tirés, prêts à la manœuvre. Des Esseintes buvait une goutte, ici, là, se jouait des symphonies intérieures, arrivait à se procurer, dans le gosier, des sensations analogues à celles que la musique verse à l’oreille. Du reste, chaque liqueur correspondait, selon lui, comme goût, au son d’un instrument. Le curaçao sec, par exemple, à la clarinette dont le chant est aigrelet et velouté ; le kummel au hautbois dont le timbre sonore nasille ; la menthe et l’anisette, à la flûte, tout à la fois sucrée et poivrée, piaulante et douce ; tandis que, pour compléter l’orchestre, le kirsch sonne furieusement de la trompette ; le gin et le whisky emportent le palais avec leurs stridents éclats de pistons et de trombones, l’eau-de-vie de marc fulmine avec les assourdissants vacarmes des tubas, pendant que roulent les coups de tonnerre de la cymbale et de la caisse frappés à tour de bras, dans la peau de la bouche, par les rakis de Chio et les mastics ! Il pensait aussi que l’assimilation pouvait s’étendre, que des quatuors d’instruments à cordes pouvaient fonctionner sous la voûte palatine, avec le violon représentant la vieille eau-de-vie, fumeuse et fine, aiguë et frêle ; avec l’alto simulé par le rhum plus robuste, plus ronflant, plus sourd ; avec le vespétro déchirant et prolongé, mélancolique et caressant comme un violoncelle ; avec la contrebasse, corsée, solide et noire comme un pur et vieux bitter. On pouvait même, si l’on voulait former un quintette, adjoindre un cinquième instrument, la harpe, qu’imitait par une vraisemblable analogie, la saveur vibrante, la note argentine, détachée et grêle du cumin sec. La similitude se prolongeait encore : des relations de tous tons existaient dans la musique des liqueurs ; ainsi pour ne citer qu’une note, la bénédictine figure, pour ainsi dire, le ton mineur de ce ton majeur des alcools que les partitions commerciales désignent sous le signe de chartreuse verte. Ces principes une fois admis, il était parvenu, grâce à d’érudites expériences, à se jouer sur la langue de silencieuses mélodies, de muettes marches funèbres à grand spectacle, à entendre, dans sa bouche, des solis de menthe, des duos de vespétro et de rhum. Il arrivait même à transférer dans sa mâchoire de véritables morceaux de musique, suivant le compositeur, pas à pas, rendant sa pensée, ses effets, ses nuances, par des unions ou des contrastes voisins de liqueurs, par d’approximatifs et savants mélanges. D’autrefois, il composait lui-même des mélodies, exécutait des pastorales avec le bénin cassis qui lui faisait roulader, dans la gorge, des chants emperlés de rossignol ; avec le tendre cacao-chouva qui fredonnait de sirupeuses bergerades, telles que « les romances d’Estelle » et les « Ah ! vous dirai-je, maman » du temps jadis.

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5 mot(s) doux:

Claire a dit…
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Claire a dit…

Les Teenagers je dois sérieusement approfondir MAIS d'ici là je connaitrai par coeur la chanson-chantée-par-le-public, AUCUN PROBLEME, muhaha. Ce sera beau. Ils ont fait comme ça au concert d'I'm From Barcelona. J'étais même près du micro. Sauf que je connaissais pas la chanson au point de la déclamer dans un gigantesque répercuteur de son alors j'ai fait CELLE-QUI-FUIT et je me suis faite toute petite quand le micro est passé à 15 cm de ma bouche :D

(quel accent à découper au couteau les Teenagers, on croirait m'entendre parler la langue de Wilde)

OUI OUI AU VENDREDI DU PUKKEL!!!OUI AUX AUTRES AUSSI, mais friday, quoi! Faut que t'écoutes les Dodos et Tunng, ils passent ce jour là, ça va te retourner l'estomac.

et toi tu vas voir Cinematic Orchestra, non non je ne t'en veux pas ma douce, juste si ils font la gigantesque Build A Home...

Tes derniers mots de commentaire me réchauffent énormément le coeur Coline.

Claire a dit…

voilà je pense aller à Bruxelles mardi, donc aller à la FNAC et prendre mes places pour Dour!

Oui j'avais entendu les chansons de Nikel Eye (il est aussi bon en jeu de mots que moi lui) et c'était une agréable surprise, c'est super sympa...je me doutais pas que. Enfin, des News sur le site des Strokes, ILS PREPARENT UN NOUVEL ALBUM enfin on s'en doutait hein avec Pharrell et tout le toutim mais voilà c'est officiel. On les verra surement d'ici un an te rends-tu compte ma jolie? et ton Dieu dans moins de 4 mois. LE GRAND CHLEM ahah

j'espère que tout s'est arrangé mon petit coeur

sarah a dit…

hello coco
j'ai l'impression que ça fait une éternité que l'on a pas communiqué. Peut etre que cela fait vraiment une éternité. A méditer.
quand vas tu en vacances? (que je sache pendant combien de temps nous pourrons parler encore)
me I'll go le 15 juillet.
en espérant que tu ailles bien.
Bises
sarah
ps: je te remercie pour ton commentaire très touchant (où tu dis m'admirer...) mais sache que ton style littéraire n'a absolument rien à m'envier.

Claire a dit…

Cette maîtrise des mots que tu as, c'est RENVERSANT.